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10 idées reçues sur le conte en ligne

Posté par Rémi le 15 janvier 2022

La distanciation sociale a bien failli triompher des espaces où se rassembler et écouter des histoires ensemble. Cadeau inattendu de la pandémie, il est désormais plus simple et mieux admis de se retrouver en ligne. Mais est-ce toujours une bonne idée ? L’expérience des Veillées des 1001 nuits nous apporte quelques réponses…et quelques questions nouvelles.

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Les Veillées des 1001 nuits ont permis à 100 conteurs de raconter plus des 500 histoires en direct sur Zoom. Rémi Garcia-Kerviel, qui a fondé et animé cet espace de partage de contes en direct, revient sur les principaux défis posés par le format numérique.

1/ Le public est moins attentif en ligne

C’est vrai, il n’y a pas de dispositif clair pour établir un espace de racontée : il n’est pas possible de jouer sur les lumières, ou la disposition de la salle, qui se limite à une mosaïque de visages sur un écran. Mais c’est largement compensé par un effet d’attraction : le public regarde son écran « comme il regarderait la télévision ». L’avantage de ça, c’est que le public est dans un espace où il se sent naturellement en sécurité, où il n’a pas de soucis, parce que c’est chez lui.

Les spectateurs les plus assidus des Veillées des 1001 nuits sont un couple de retraités qui apparaissent toujours sur leur canapé, et on devine que l’écran est posé dans leur salon. C’est l’un des aspects les plus précieux du conte en ligne : les gens sont chez eux ! Et comme ils regardent depuis leur espace, ils sont par nature dans une situation de confort, ce qui facilite leur écoute.

 

2/ Le conteur est moins présent

C’est en partie vrai, et ça se sent notamment dans les corps des conteurs.

Il y a une vraie différence entre les sessions de « spectacles » ou de partages d’histoires, et les ateliers de conte en ligne. Avec les ateliers Conte et Mouvement, l’un des aspects les plus difficiles a été de faire reprendre conscience que les participants avaient des « corps en 3D » : comme nous sommes exposés à des écrans bidimensionnels, nous oublions en miroir l’épaisseur, la profondeur, la densité de notre corps qui raconte. S’il est aisé de la retrouver en poussant les participants à prendre de l’espace, à revenir à leur corps physique en atelier, c’est beaucoup plus difficile pendant un spectacle.

C’est alors au conteur de trouver une nouvelle présence. Elle ne peut le plus souvent se baser que sur des perceptions visuelles – les micros du public sont coupés, pour éviter les bruits de mixers et de téléphones.

Ces perceptions sont imprécises, mais elles ont un immense avantage : elles poussent le conteur à être plus présent à son histoire, et à moins rechercher le regard du public.

Les Veillées des 1001 Nuits ont révélé que c’était une question d’habitude, et que la vue « en mosaïque » aidait beaucoup à retrouver un sentiment de communauté : l’utiliser aide beaucoup à raconter « à quelqu’un »

 

3/ Il y a moins d’interactions avec le public

C’est vrai pendant l’histoire : elles doivent être visuelles et non sonores. C’est vrai pour les chants, ou pour les questions/réponses : les temps de décalage des micros rendent ardue la coordination des réponses et le rythme.

Mais cela ouvre la possibilité de partage plus lents, plus précis, une personne à la fois.

La clef pendant les Veillées a été la fréquence : en permettant à un noyau de personnes identiques de se retrouver souvent, le conte est progressivement redevenu un acte qui faisait partie du quotidien : on allait au Veillées comme on retrouvait des amis le soir, avec qui très peu de mots ou de gestes étaient échangés, mais avec de plus en plus de cœur.

Finalement, les interactions « sur le moment » étaient moins nombreuses, mais les interactions dans le temps ont été de bien meilleure qualité, car le format numérique permettait à tous de rejoindre les événements en s’affranchissant des contraintes géographiques – donc plus souvent.

 

4/ En ligne, la magie n’est pas là

Ça a été ma plus grande crainte au moment de créer les Veillées des 1001 Nuits. C’est même par peur que cette « magie humaine » d’être ensemble autour de bonnes histoires ne disparaisse que l’espace a été créé. Et ça a été difficile de la maintenir.

Beaucoup de choses menacent la qualité de la racontée et de l’écoute qui forment ces instants magiques. Le bruit. Les interruptions. Les commentaires et jugements. Mais surtout le cœur des conteurs.

La plus grande difficulté n’a pas été de surmonter les soucis techniques : ils étaient réglés dans la séance au mieux (souvent en prenant le temps, et en l’expliquant au public en cas de contrainte. On a constaté que non seulement le public comprend, mais aussi qu’il oublie), la séance suivante au pire.

Ça a été de créer une ambiance qui permette aux conteurs de se dire « bon, finalement, je tente le coup ». Et pour ça, rien de tel que l’appréciation : nous avons encouragé, pendant les Veillées, les mots d’appréciation par le tchat, ou après les racontées.

C’est très touchant pour le conteur, et ça l’est surtout pour le public : cela crée un espace où les mots reçus sont « ton histoire m’a touché profondément » « merci, quelles belles images » « je croyais que j’y étais ». Le rôle de l’animateur était primordial pour permettre à ces appréciations de rester brèves…et de ne pas virer au commentaire technique ou au retour, qui n’a pas sa place dans une racontée, mais dans un atelier.

Le Tchat est un outil magnifique pour ça, qui n’existe qu’en ligne et fait partie des codes du direct, notamment sur Twitch : il vise à entrer et rester en contact avec la communauté qui écoute.

Au final il y a eu de nombreux moment incroyables : la veillée « Liberté », où nous avons raconté de 21h à 3h du matin, avec 100 personnes présentes au même moment, en fait partie.

 

5/ C’est difficile techniquement

C’est vrai les premières fois: maîtriser l’outil numérique demande une pratique. Au fil des Nuits, nous avons vu des conteurs arriver, repartir, mais aussi raconter seulement sans caméra, puis leur visage apparaître un soir – leur mari avait été acheter une webcam, ou bien leur compagne avait installé un micro…

3 points principaux posent question :

 

6/ Pas facile d’établir un espace pour raconter…

Clairement, il n’y a pas d’espace réel. C’est un espace impalpable, qui ne fait pas franchement rêver : on imagine les écrans à cristaux liquides, quand ce ne sont pas les serveurs et leurs chaînes de données…brrrr…

Encore une fois : le public et les conteurs sont chez eux – ou dans un espace familier. Autant rendre cet espace le plus agréable possible : ce qu’on voit à la caméra a une grande influence, et quand il s’agit d’une communauté, il est possible de la mobiliser pour cela.

3 choix différents le permettent :

Ces petits rituels semblent beaucoup plus facile à réaliser en ligne qu’en vrai, parce que c’est moins impliquant de faire un petit dessin ou de mettre un peu de couleur en sortant un manteau rose fluo de son placard que de traverser la ville avec. Ils permettent de créer un espace chaleureux, où l’on peut raconter sérieusement avec des liens qui vont au-delà de la bienveillance, qui sont de l’ordre de l’amitié.

 

7/ Les spectacles en ligne ont leurs codes

Ils sont identiques à ceux des spectacles hors-ligne, ou plutôt ils peuvent être décidés et choisis de la même manière.

 

8/ Ca existe depuis longtemps : c’est la radio

C’est vrai, à une exception près : la webcam permet de voir le conteur, donc de voir les mouvements de son corps. Or la radio invite à raconter « à la voix », en utilisant sa voix pour transmettre l’histoire. Parfois, le mouvement du corps peut aider ou compléter cette narration, et la webcam permet de le voir… même s’il m’est souvent arrivé de fermer les yeux de plaisir à l’écoute de certaines histoires en ligne.

C’est très important, parce que ça permet à l’énergie de circuler entre les personnes. En parallèle des espaces de racontées, de nombreux espaces de danse en ligne ont vu le jour, notamment pour la danse libre – 5 rythmes, etc… : progressivement, et alors que le contact des corps semblait indispensable à ces pratiques, l’outil numérique a été utilisé pour permettre à l’énergie de circuler à distance.

Ce qui compense largement la perte de contact physique, c’est la fréquence et l’amplitude géographique des relations : comme pour la radio, il est possible de faire circuler de l’énergie tous les jours avec des personnes situés à l’autre bout de la planète. Pendant les 1001 nuits, nous avons eu régulièrement des conteuses et auditrices du Québec, une ou deux fois du Congo Brazzaville.

La radio permet l’acte de « donner l’histoire » sans lien avec le récepteur. Dans le conte en ligne et en direct, le récepteur est bien là, et il réagit. Le fait qu’on l’entende ou qu’on le perçoive moins n’y change rien.

 

9/ Ça ne survivra que par la voix, avec les podcasts

Idem.

Les podcasts nécessitent un travail de pré et de post-production important – et un sacré réseau de diffusion. Mais surtout, ils présupposent, comme les fils sur YouTube, que le moment de la racontée et celui de l’écoute ne sont pas le même. Et pour moi, on sort du cœur du conte, de cet acte qui permet à l’histoire de n’exister qu’une et une seule fois comme ça, dans l’espace entre le conteur et l’auditeur. Seul le direct permet cet acte.

En fait ce qui naît peu à peu, c’est une série d’émissions de télé en direct, mais où le public n’est plus passif : où une personne du public peut 2 minutes plus tard devenir conteur. Et ça, c’est permettre au Conte de redevenir un geste du quotidien, comme une Veillée du 3ème Millénaire, pour reprendre les mots des Tri Yann.

 

10/ Les conteurs sont inadaptés au numérique

Le numérique est un outil. Les conteurs ne sont pas adaptés au tout-numérique, mais les histoires non plus. Nous avons besoin de nos 5 sens pour écouter et pour raconter, et le numérique retire certains de ces sens : au conteur de les réactiver par son histoire.

Nous avons aussi besoin d’être en contact avec une communauté. Le numérique facilite l’accès à cette communauté, par la fréquence des rencontres et en s’affranchissant des contraintes géographiques.