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Raconter une histoire pour illustrer une idée ?

Posté par PUShAUNE le 9 janvier 2020

Quand on a une idée à défendre, rien de tel qu’une bonne histoire pour la « faire passer ». Seulement… mieux vaut laisser les histoires ouvertes, que de les enfermer dans un propos univoque. Le storytelling fonctionne, à condition laisser l’histoire nous guider. C’est seulement en se laissant toucher par l’histoire qu’elle révèle sa puissance. C’est seulement en l’écoutant résonner qu’elle laisse apparaître son trésor. Une narration vivante est une caisse de résonance au service de l’histoire.

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Elle est là. C’est l’idée du siècle. Le principe, l’idéal, le motif principal qui va changer notre vie, notre monde, celui de nos proches, de notre famille, de la communauté, du monde entier. Elle est venue en rêve, elle s’est incarnée dans cet espace si vaste et fragile qui sépare la nuit du jour, et notre désir l’a aimée, l’a chassée et attrapée. Elle sort des brumes. Mais elle ne ressemble plus à celle qui nous transportait, cette nuit, en rêve. Nos mots peinent à la retrouver, et la brume du rêve la regagne, la recouvre, la fait disparaître. Nous sommes ici, éveillés, dans notre lit, et l’idée, elle, est restée de l’autre côté, sur les îles éthérées de nos songes. Heureusement, elle nous échappe.

Alors se pose à nous ce choix, si difficile dès le réveil. Créer une histoire à partir d’une idée, ou laisser les idées émerger d’une histoire ? Envoyer notre esprit de jour à la chasse aux idées de nuit ? Ou bien inviter l’histoire à sortir doucement du bois, et venir en pleine journée rejoindre nos songes à haute voix, avec son cortège d’idées ?

Thomas le véridique, dans la légende, était ainsi : un menteur invétéré et un musicien de talent. Il mentait pour séduire, comme un panneau publicitaire. Vint à passer Brid, resplendissante, en voyage du pays des fées, qui lui interdit de l’embrasser. Thomas l’embrasse, grand mal lui fait : elle se transforme en vieille bique, la Cailleach des légendes Celtes, et l’entraîne de l’autre côté, où il ne doit pas piper mot. A son retour elle a repris son doux visage. Elle lui laisse le beau et triste don de toujours dire la vérité : c’est lui le premier des conteurs.

Comme Thomas, nous voulons créer une histoire à partir d’une idée, embrasser la lumière de cette idée incarnée, le matin, et qui vient du monde des rêves. Et comme Thomas, si nous l’embrassons tout de suite, l’idée part en lambeaux, elle vieillit, et nous entraîne avec elle dans l’autre monde, où nous découvrons l’enfer. En nous se manifeste alors l’avidité de vouloir prendre, consommer et réduire à notre volonté ce qui n’est encore qu’un rêve. Si nous suivons l’esprit glouton, nous nous étalons dans la colle des affiches, et perdons l’oreille du public : l’histoire s’enfuit et nous laisse seuls.

Un autre chemin, délicat, est de laisser l’histoire libre, et d’en écouter les idées, de suivre ce rêve à la trace. De le laisser nous conduire là où nous ne savons pas. De le laisser nous confronter, sans mot dire, à ce qu’il a lui à nous dire. De l’écouter, sans jugement, sans analyse. De le laisser vivre, en somme.

Alors, l’histoire se fait toute seule. Et comme Brid pour Thomas, elle nous partage un don précieux, et nous invite à le goûter : la vérité.

C’est cette vérité qui convainc. Cette vérité qui emporte l’attention de l’auditoire. Cette vérité qui bouleverse, et qui produit des changements dont nous n’avions même pas idée. Parce qu’elle nous a été donnée sans que nous l’ayons voulue, et que nous la transmettons sans complètement la comprendre. Parce qu’elle existe un peu pour nous, et beaucoup pour elle. Parce que la vérité vient du rêve, et qu’au rêve elle retourne.

Mais que nous reste-t-il alors ? L’histoire. Et le don de la raconter, en appelant avec douceur, et sans pouvoir la contrôler, cette vérité qu’elle enchâsse, dans notre cœur et dans le sien, et qu’on appelle une Merveille.