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Conter est un acte d’amour

Posté par PUShAUNE le 19 décembre 2019

Certains racontent pour gagner leur vie. D’autres par passion. D’autres quand ils en ont l’occasion, et à coup sûr beaucoup ne savent pas pourquoi ou pour quoi ils racontent. Pour beaucoup, quoiqu’on raconte, pour quoi ou qui que ce soit, la racontée peut désigner une infinité de choses : un instrument, un media, une cause, un remède pour l’âme, une énergie magique de paroles et d’images, un rêve… Et au-delà, un acte d’amour. Même si parfois, on oublie que c’en est un.

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Quand on raconte, on existe uniquement dans l’engagement à l’autre, depuis nos propres limites, nos capacités, depuis nos échecs et nos illusions, on raconte la vie, la sienne ou celle des autres, et on la raconte parce qu’on se sent attiré par l’autre : que ce soit un bébé ou une salle pleine à craquer.

On cherche la rencontre et l’union avec l’Autre. Et dans cette quête, dans cette cour, on se met sur son trente-et-un pour lui plaire. On cherche les vêtements qui nous rendent ou nous fassent nous sentir beau. On cherche l’histoire dont l’amour nous est parvenu et qui nous permettra de faire l’amour à l’autre.

Il y a de nombreuses années que je raconte, et depuis toujours je pense que cet office est le plus risqué qui soit. Et je ne veux pas dire que c’est dur, ni qu’on risque sa vie, comme ça peut arriver ailleurs. Je veux dire que celui qui raconte s’expose à celui qui écoute, s’expose à l’accueil ou au rejet, s’expose à aimer et à être aimé. On se dénude à chaque session, à chaque conte. Et même si ni soi, ni celui qui écoute n’avaient prévu de s’aimer, cela peut arriver.

Quand le papa ou la maman racontent, à la maison, ne sont-ils pas en train de s’aimer ? Quand à l’école ou à la bibliothèque l’adulte raconte aux plus petits, ne recherche-t-il pas l’amour des autres ? L’amour du conte, l’amour de l’oralité, l’amour des livres, l’amour de la lecture. Quand le conteur professionnel raconte, n’est-il pas pris dans l’acte d’amour ? N’est-il pas en train de tomber amoureux ? Dans tous les cas, c’est par amour qu’on raconte.

Parce que le conte ne parvient pas, s’il est livré par un narrateur qui emploie la technique seule, sans amour. Il pourra filouter, faire semblant d’aimer, mais pas aimer. L’amour met en mouvement le monde, les paroles. L’amour fait luire les histoires dans l’amour d’un foyer, c’est-à-dire que les passions et les peurs se réveillent auprès d’un feu ami, qui permet de raconter le loup sans qu’il soit face à nous, de caresser et de désirer d’autres corps presque sans les toucher… parce que le feu est passion.

Quand je raconte avec ma partenaire d’aventure, Carmen Fernandez, je sens que nous tombons de nouveau amoureux, je ressens cet amour de jeunesse, toutes ces années passées ensemble, comme un amour véritable. Toutes ces années d’amour et de partage où nous nous sommes engagés, nous avons pleuré et chanté ensemble, où nous sommes tombés amoureux de l’instant et des autres. Le mieux dans tout ça, c’est qu’on n’est pas jaloux : c’est un amour partagé.

Je termine ici ces quelques mots sur raconter et aimer, y ne résiste pas à paraphraser les trois derniers vers du sonnet que Lope dédie à l’amour et au cri qu’est l’acte de conter.

Croire qu’un ciel peut tenir dans un enfer
Jusqu’aux désillusions donner la vie et l’âme
C’est cela conter, et qui l’a fait le sait.

Article de Manuel Castaño publié avec l’aimable autorisation de l’auteur, version originale sur http://narracionoral.es/index.php/es/documentos/articulos-y-entrevistas/articulos-seleccionados/846-contar-es-un-acto-de-amor