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Commencer une histoire : l’art d’être au bon endroit.

Posté par Rémi le 3 février 2020

Comment bien commencer une histoire? Comment trouver le lieu du récit? 5 conseils bien démarrer sa narration, inspirés de Cinema Paradiso.

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Mille et une pages écrites. Cent une personnes vues. Quarante heures de bandes sonores écoutées. Dans cette multitude de documents, de sons, d’images, de souvenirs, de sensations, comment commencer une histoire? Tendre, on l’appelle : « viens, viens ». Mais elle ne vient pas. Et le risque serait alors de tout brusquer, de décider impérieusement « ça commence comme ça, voilà ! » Notre conscience serait rassurée. Et l’histoire, bienheureuse sauvage, partie.

Il lui manque un lieu. Et à nous, un endroit.

L’un et l’autre sont liés : l’histoire se passe d’abord en nous, qui racontons. C’est d’abord à nous de nous trouver en nous-même au bon endroit. Un endroit d’accueil inconditionnel de ce que nous propose notre imaginaire. Un endroit d’ouverture.

Puis le lieu de l’histoire va venir, doucement. En plan large. Il nous suffit alors de bouger doucement notre regard, et d’élargir, encore. En restant attentif au détail qui viendra, mais sans le flatter. Car il n’a pour l’instant pas son rôle : au début d’une histoire, le lieu est roi.

 

Voyons… Comment s’y prend Tornatore ?

Ecran noir. Lumière d’argent. Bleu gris. Vagues à perte de vue, et vagues de vagues. La mer, invincible. Un pot de terre, au centre, et dedans une pousse minuscule. Le blanc d’un rideau balaye le plan, de droite à gauche, comme s’il n’y avait plus qu’à présenter ce qui existe déjà, ce qui est là. Même pas 10 secondes de film. Juste la lumière, la mer, le ciel. C’est déjà un voyage.

 

Le vide. Une lumière. Un lieu. Une pousse. Un battement de rideau. Il n’y a pas besoin de plus. Bienvenue dans Cinema Paradiso, le film où chaque image est un diamant de l’art du conte – qui pour l’occasion, s’appelle le cinéma.

D’abord le vide. L’écran noir. Cette fameuse ouverture, négatif de lumière. L’art de la racontée est un art de la nuit : l’hiver traditionnel, dans les campagnes, qui permet de voir ses propres images, c’est-à-dire de se laisser traverser par nos souvenirs, réels ou inventés. C’est impossible si la lumière est trop forte, car le réel est toujours plus incarné, et balaie le rêve. Or l’histoire est d’abord faite de rêve. Pour la laisser venir, fermer les yeux, baisser la lumière permet de la regarder, de marquer le seuil qui sépare notre monde de celui de l’histoire, et de laisser le second féconder le premier. Les histoires naissent du silence que l’on fait en soi.

La lumière vient ensuite, après le vide. Après l’ouverture. Avec la lumière, l’œil du conteur, qui voit l’autre monde. Elle colore l’histoire. Elle marque l’endroit intérieur, celui où se situe le conteur pour raconter, celui où le rejoint l’auditoire, si l’histoire est réussie. C’est un vaisseau de lumière, qui emporte les humains dans l’histoire. Des gestes de ses yeux, le conteur le dessine. Tornatore en filmant la mer à perte de vue installe le film dans l’argenté immense de la paix sicilienne.

Le lieu est inscrit dans la lumière, inscrite dans le vide. Le vide s’ouvre en lumière qui prend chair en un lieu. L’histoire y est suspendue dans une immense apnée : découvrir un lieu, c’est imaginer toutes les histoires qui pourraient s’y passer. Etablir un lieu en début d’histoire, c’est déployer l’espace où l’histoire est déjà et où elle va venir. Qui manque-t-il pour contempler la beauté de la mer de Tornatore ? Pourquoi ce balcon vide devant tant de beauté ? Arrivera-t-il à temps, celui qui recevra dans son œil l’amour du monde ?

Dans le lieu, vient la pousse, le bourgeon qui perce le souffle suspendu du lieu, lui donne vie, direction, action : l’histoire peut commencer. Sur le balcon blanc, la plante minuscule est là, prête à s’épanouir – mais le plan reste large, l’important c’est le lieu-lumière-vide, pas encore le suspense, les rebondissements.

Le battement de rideau fait démarrer l’histoire : il est la pulsation, le premier rythme, le premier mot du conteur. Sans lui le lieu est mort, il n’y a pas d’histoire. La première parole balaie le paysage qui est là, gorgé de vie, et contient en lui le surgeon de l’action. Il n’y a plus qu’à suivre.

Alors – et alors seulement – l’histoire commence.

Invitée dans le cœur de celui qui raconte, portée par son souffle, ancrée dans son paysage intérieur, nimbée de sa lumière, elle se déploie dans ses silences.